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LES ROUGON-MACQUART.

utile, prenant au vol des phrases, préparant là ses articles. Et Mahoudeau exagérait ses brutalités voulues, les mains convulsées, ainsi qu’un geindre dont les poings pétriraient un monde ; et Gagnière, pâmé, dégagé du gris de sa peinture, raffinait la sensation jusqu’à l’évanouissement final de l’intelligence ; et Dubuche, de conviction pesante, ne jetait que des mots, mais des mots pareils à des coups de massue, en plein milieu des obstacles. Alors, Sandoz, bien heureux, riant d’aise à les voir si unis, tous dans la même chemise, comme il disait, déboucha une nouvelle bouteille de bière. Il aurait vidé la maison, il cria :

— Hein ? nous y sommes, ne lâchons plus… Il n’y a que ça de bon, s’entendre quand on a des choses dans la caboche, et que le tonnerre de Dieu emporte les imbéciles !  

Mais, à ce moment, un coup de sonnette le stupéfia. Au milieu du silence brusque des autres, il reprit :

— À onze heures ! qui diable est-ce donc ?  

Il courut ouvrir, on l’entendit jeter une exclamation joyeuse. Déjà, il revenait, ouvrant la porte toute grande, disant :

— Ah ! que c’est gentil de nous aimer un peu et de nous surprendre !… Bongrand, messieurs !  

Le grand peintre, que le maître de la maison annonçait ainsi, avec une familiarité respectueuse, s’avança, les mains tendues. Tous se levèrent vivement, émotionnés, heureux de cette poignée de main si large et si cordiale. C’était un gros homme de quarante-cinq ans, la face tourmentée, sous de longs cheveux gris. Il venait d’entrer à l’Institut, et le simple veston d’alpaga qu’il portait, avait à la bou-