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LES ROUGON-MACQUART.

— Tenez ! c’est pour que vous sachiez que je ne suis pas une ingrate. 

Il ne dit rien d’abord, la contempla, saisi. Lorsqu’il eut vu qu’elle ne se moquait pas, il lui serra les deux mains, à les briser ; puis, il mit tout de suite le bouquet dans son pot à eau, en répétant :

— Ah ! par exemple, vous êtes un bon garçon, vous !… C’est la première fois que je fais ce compliment à une femme, parole d’honneur !

Il revint, il lui demanda, ses yeux dans les siens :

— Vrai, vous ne m’avez pas oublié ?

— Vous le voyez bien, répondit-elle en riant.

— Pourquoi alors avez-vous attendu deux mois ?  

De nouveau, elle rougit. Le mensonge qu’elle faisait, lui rendit un instant son embarras.

— Mais je ne suis pas libre, vous le savez… Oh ! madame Vanzade est très bonne pour moi ; seulement, elle est impotente, elle ne sort jamais ; et il a fallu qu’elle-même, inquiète de ma santé, me forçât à prendre l’air. 

Elle ne disait pas la honte où son aventure du quai de Bourbon l’avait jetée, les premiers jours. En se retrouvant à l’abri, dans la maison de la vieille dame, le souvenir de la nuit passée chez un homme, l’avait tracassée de remords, comme une faute ; et elle croyait être parvenue à chasser cet homme de sa mémoire, ce n’était plus qu’un mauvais rêve, dont les contours s’effaçaient. Puis, sans qu’elle sût comment, au milieu du grand calme de son existence nouvelle, l’image était ressortie de l’ombre, en se précisant, en s’accentuant, jusqu’à devenir l’obsession de toutes ses heures. Pourquoi donc l’aurait-elle oublié ? elle ne trouvait à lui faire aucun reproche ? au contraire, ne lui devait-elle pas de la gratitude ?