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LES ROUGON-MACQUART.

amis eux-mêmes n’osaient le contrarier. Il balayait le monde d’un geste, il n’y avait plus que la peinture, on devait égorger les parents, les camarades, les femmes surtout ! De cette fièvre chaude, il était tombé dans un abominable désespoir, une semaine d’impuissance et de doute, toute une semaine de torture à se croire frappé de stupidité. Et il se remettait, il avait repris son train habituel, sa lutte résignée et solitaire contre son tableau, lorsque, par une matinée brumeuse de la fin d’octobre, il tressaillit et posa rapidement sa palette. On n’avait pas frappé, mais il venait de reconnaître un pas qui montait. Il ouvrit, et elle entra. C’était elle enfin.

Christine, ce jour-là, portait un large manteau de laine grise qui l’enveloppait tout entière. Son petit chapeau de velours était sombre, et le brouillard du dehors avait emperlé sa voilette de dentelle noire. Mais il la trouva très gaie, dans ce premier frisson de l’hiver. Elle s’excusa d’avoir tardé si longtemps à revenir ; et elle souriait de son air franc, elle avouait qu’elle avait hésité, qu’elle avait bien failli ne plus vouloir : oui, des idées à elle, des choses qu’il devait comprendre. Il ne comprenait pas, il ne demandait pas à comprendre, puisqu’elle était là. Cela suffisait qu’elle ne fût point fâchée, qu’elle consentît à monter de temps à autre, en bonne camarade. Il n’y eut pas d’explication, chacun garda le tourment et le combat des jours passés. Pendant près d’une heure, ils causèrent, très d’accord, sans rien de caché ni d’hostile désormais, comme si l’entente s’était faite à leur insu, loin l’un de l’autre. Elle ne sembla même pas voir les esquisses et les études des murs. Un instant, elle regarda fixement la grande toile, la figure de femme nue, couchée