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L’ŒUVRE.

de beaux projets, jurant de l’aider bientôt à gagner de l’argent ; mais ses jambes et ses bras partaient malgré son effort, elle tombait malade dès qu’elle restait tranquille. Alors, un matin, sa mère n’avait pu se lever, et elle était morte, la voix éteinte, les yeux pleins de grosses larmes. Toujours, elle l’avait ainsi présente, morte déjà, les yeux grands ouverts et pleurant encore, fixés sur elle.

D’autres fois, Christine, questionnée par Claude sur Clermont, oubliait tout ce deuil, pour lâcher les gais souvenirs. Elle riait à belles dents de leur campement, rue de l’Éclache, elle née à Strasbourg, le père Gascon, la mère Parisienne, tous les trois jetés dans cette Auvergne, qu’ils abominaient. La rue de l’Éclache, qui descend au Jardin-des-Plantes, étroite et humide, était d’une mélancolie de caveau ; pas une boutique, jamais un passant, rien que les façades mornes, aux volets toujours fermés ; mais, vers le midi, dominant des cours intérieures, les fenêtres de leur logement avaient la joie du grand soleil. Même la salle à manger ouvrait sur un large balcon, une sorte de galerie de bois, dont les arcades étaient garnies d’une glycine géante, qui les enfouissait dans sa verdure. Et elle y avait grandi, d’abord près de son père infirme, ensuite cloîtrée avec sa mère que la moindre sortie épuisait ; elle ignorait si complètement la ville et les environs, qu’elle et Claude finissaient par s’égayer lorsqu’elle accueillait ses questions d’un éternel : Je ne sais pas. Les montagnes ? oui, il y avait des montagnes d’un côté, on les apercevait au bout des rues. Tandis que, de l’autre côté, en enfilant d’autres rues, on voyait des champs plats, à l’infini ; mais on n’y allait pas, c’était trop loin. Elle reconnaissait seulement le Puy de Dôme, tout rond, pareil à une