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LES ROUGON-MACQUART.

sa figure !… Un sacré tempérament, n’est-ce pas ?  

Sandoz et lui s’étaient mis à tourner autour du plâtre. Bongrand répondit avec un sourire :

— Oui, oui, trop de cuisses, trop de gorge. Mais regardez les attaches des membres, c’est fin et joli comme tout… Allons, adieu, je vous laisse. Je vais m’asseoir un peu, j’ai les jambes cassées. 

Claude avait levé la tête et prêtait l’oreille. Un bruit énorme, qui ne l’avait pas frappé d’abord, roulait dans l’air, avec un fracas continu : c’était une clameur de tempête battant la côte, le grondement d’un assaut infatigable, se ruant de l’infini.

— Tiens ! murmura-t-il, qu’est-ce donc ?

— Ça, dit Bongrand qui s’éloignait, c’est la foule, là-haut, dans les salles.

Et les deux jeunes gens, après avoir traversé le jardin, montèrent au Salon des Refusés.

On l’avait fort bien installé, les tableaux reçus n’étaient pas logés plus richement : hautes tentures de vieilles tapisseries aux portes, cimaises garnies de serge verte, banquettes de velours rouge, écrans de toile blanche sous les baies vitrées des plafonds ; et, dans l’enfilade des salles, le premier aspect était le même, le même or des cadres, les mêmes taches vives des toiles. Mais une gaieté particulière y régnait, un éclat de jeunesse, dont on ne se rendait pas nettement compte d’abord. La foule, déjà compacte, augmentait de minute en minute, car on désertait le Salon officiel, on accourait, fouetté de curiosité, piqué du désir de juger les juges, amusé enfin dès le seuil par la certitude qu’on allait voir des choses extrêmement plaisantes. Il faisait très chaud, une poussière fine montait du plancher, on étoufferait sûrement vers quatre heures.