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LES ROUGON-MACQUART.

pression du public, répondit sans une hésitation :

— Je ne sais pas… Nous allons le chercher ensemble, voulez-vous ?  

Et il se joignit à eux. Le terrible farceur qu’il était, n’affectait plus autant des allures de voyou, déjà correctement vêtu, toujours d’une moquerie à mordre le monde, mais les lèvres désormais pincées en une moue sérieuse de garçon qui veut arriver. Il ajouta, l’air convaincu :

— C’est moi qui regrette de n’avoir rien envoyé, cette année ! Je serais ici avec vous autres, j’aurais ma part du succès… Et il y a des machines étonnantes, mes enfants ! Par exemple, ces chevaux… 

Il montrait, en face d’eux, la vaste toile, devant laquelle la foule s’attroupait en riant. C’était, disait-on, l’œuvre d’un ancien vétérinaire, des chevaux grandeur nature lâchés dans un pré, mais des chevaux fantastiques, bleus, violets, roses, et dont la stupéfiante anatomie perçait la peau.

— Dis donc, si tu ne te fichais pas de nous !  déclara Claude, soupçonneux.

Fagerolles joua l’enthousiasme.

— Comment ! mais c’est plein de qualités, ça ! Il connaît joliment son cheval, le bonhomme ! Sans doute, il peint comme un salaud. Qu’est-ce que ça fait, s’il est original et s’il apporte un document ?  

Son fin visage de fille restait grave. À peine, au fond de ses yeux clairs, luisait une étincelle jeune de moquerie. Et il ajouta cette allusion méchante, dont lui seul put jouir :

— Ah bien ! si tu te laisses influencer par les imbéciles qui rient, tu vas en voir bien d’autres, tout à l’heure !  

Les trois camarades, qui s’étaient remis en marche,