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LES ROUGON-MACQUART.

chacune avec la bouche ronde et bête des ignorants qui jugent de la peinture, exprimant à elles toutes la somme d’âneries, de réflexions saugrenues, de ricanements stupides et mauvais, que la vue d’une œuvre originale peut tirer à l’imbécillité bourgeoise.

Et, à ce moment, comme dernier coup, Claude vit reparaître Dubuche, qui traînait les Margaillan. Dès qu’il arriva devant le tableau, l’architecte, embarrassé, pris d’une honte lâche, voulut presser le pas, emmener son monde, en affectant de n’avoir aperçu ni la toile ni ses amis. Mais déjà l’entrepreneur s’était planté sur ses courtes jambes, écarquillant les yeux, lui demandant très haut, de sa grosse voix rauque :

— Dites donc, quel est le sabot qui a fichu ça ?  

Cette brutalité bon enfant, ce cri d’un parvenu millionnaire qui résumait la moyenne de l’opinion, redoubla l’hilarité ; et lui, flatté de son succès, les côtes chatouillées par l’étrangeté de cette peinture, partit à son tour, mais d’un rire tel, si démesuré, si ronflant, au fond de sa poitrine grasse, qu’il dominait tous les autres. C’était l’alléluia, l’éclat final des grandes orgues.

— Emmenez ma fille, dit la pâle madame Margaillan à l’oreille de Dubuche.

Il se précipita, dégagea Régine, qui avait baissé les paupières ; et il déployait des muscles vigoureux, comme s’il eût sauvé ce pauvre être d’un danger de mort. Puis, ayant quitté les Margaillan à la porte, après des poignées de main et des saluts d’homme du monde, il revint vers ses amis, il dit carrément à Sandoz, à Fagerolles et à Gagnière :

— Que voulez-vous ? ce n’est pas ma faute… Je l’avais prévenu que le public ne comprendrait pas.