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LES ROUGON-MACQUART.

deux dans le Salon ! Un grand mépris lui venait de ce peintre admirablement doué, qui faisait rire tout Paris comme le dernier des barbouilleurs.

Ce mépris devint si fort qu’il ne put le cacher davantage. Il dit, dans un accès d’invincible franchise :

— Ah ! écoute, mon cher, tu l’as voulu, c’est toi qui es trop bête. 

Claude, en silence, détournant les yeux de la foule, le regarda. Il n’avait point faibli, pâle seulement sous les rires, les lèvres agitées d’un léger tic nerveux : personne ne le connaissait, son œuvre seule était souffletée. Puis, il reporta un instant les regards sur le tableau, parcourut de là les autres toiles de la salle, lentement. Et, dans le désastre de ses illusions, dans la douleur vive de son orgueil, un souffle de courage, une bouffée de santé et d’enfance, lui vinrent de toute cette peinture si gaiement brave, montant à l’assaut de l’antique routine, avec une passion si désordonnée. Il en était consolé et raffermi, sans remords, sans contrition, poussé au contraire à heurter le public davantage. Certes, il y avait là bien des maladresses, bien des efforts puérils, mais quel joli ton général, quel coup de lumière apporté, une lumière gris d’argent, fine, diffuse, égayée de tous les reflets dansants du plein air ! C’était comme une fenêtre brusquement ouverte dans la vieille cuisine au bitume, dans les jus recuits de la tradition, et le soleil entrait, et les murs riaient de cette matinée de printemps ! La note claire de son tableau, ce bleuissement dont on se moquait, éclatait parmi les autres. N’était-ce pas l’aube attendue, un jour nouveau qui se levait pour l’art ? Il aperçut un critique qui s’arrêtait sans rire, des peintres célèbres, surpris, la mine grave, le père