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LES ROUGON-MACQUART.

suis très fière et très heureuse de vous avoir aidé, d’en être un peu, moi aussi… 

Il l’écoutait bégayer ardemment ces tendresses, toujours immobile ; et, brusquement, il s’abattit devant elle, il laissa tomber la tête sur ses genoux, en éclatant en larmes. Toute son excitation de l’après-midi, sa bravoure d’artiste sifflé, sa gaieté et sa violence, crevaient là, en une crise de sanglots qui le suffoquait. Depuis la salle où les rires l’avaient souffleté, il les entendait le poursuivre comme une meute aboyante, là-bas aux Champs-Élysées, puis le long de la Seine, puis à présent encore chez lui, derrière son dos. Sa force entière s’en était allée, il se sentait plus débile qu’un enfant ; et il répéta, roulant sa tête, la voix éteinte, le geste vague :

— Mon Dieu ! que je souffre !  

Alors, elle, des deux poings, le remonta jusqu’à sa bouche, dans un emportement de passion. Elle le baisa, elle lui souffla jusqu’au cœur, d’une haleine chaude :

— Tais-toi, tais-toi, je t’aime !

Ils s’adoraient, leur camaraderie devait aboutir à ces noces, sur ce divan, dans l’aventure de ce tableau qui peu à peu les avait unis. Le crépuscule les enveloppa, ils restèrent aux bras l’un de l’autre, anéantis, en larmes sous cette première joie d’amour. Près d’eux, au milieu de la table, les lilas qu’elle avait envoyés le matin, embaumaient la nuit ; et les parcelles d’or éparses, envolées du cadre, luisaient seules d’un reste de jour, pareilles à un fourmillement d’étoiles.