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L’ŒUVRE.

qu’ils s’étourdissaient eux-mêmes, dans la grande salle où ils mangeaient seuls. Elle, les joues ardentes, affirmait qu’elle était grise ; et jamais ça ne lui était arrivé, et elle trouvait ça drôle, oh ! si drôle, riant à ne plus pouvoir se retenir.

— Allons prendre l’air, dit-elle enfin.

— C’est ça, marchons un peu… Nous repartons à quatre heures, nous avons trois heures devant nous.

Ils remontèrent Bennecourt, qui aligne ses maisons jaunes, le long de la berge, sur près de deux kilomètres. Tout le village était aux champs, ils ne rencontrèrent que trois vaches, conduites par une petite fille. Lui, du geste, expliquait le pays, semblait savoir où il allait ; et, quand arrivés à la dernière maison, une vieille bâtisse, plantée sur le bord de la Seine, en face des coteaux de Jeufosse, il en fit le tour, entra dans un bois de chênes, très touffu. C’était le bout du monde qu’ils cherchaient l’un et l’autre, un gazon d’une douceur de velours, un abri de feuilles où le soleil seul pénétrait en minces flèches de flamme. Tout de suite, leurs lèvres s’unirent dans un baiser avide, et elle s’était abandonnée, et il l’avait prise, au milieu de l’odeur fraîche des herbes foulées. Longtemps, ils restèrent à cette place, attendris maintenant, avec des paroles rares et basses, occupés de la seule caresse de leur haleine, comme en extase devant les points d’or qu’ils regardaient luire au fond de leurs yeux bruns.

Puis, deux heures plus tard, quand ils sortirent du bois, ils tressaillirent : un paysan était là, sur la porte grande ouverte de la maison, et qui paraissait les avoir guettés de ses yeux rapetissés de vieux loup. Elle devint toute rose, tandis que lui criait, pour cacher sa gêne :