Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
186
LES ROUGON-MACQUART.

partait une fois encore, Christine se jeta entre les bras de Claude, éperdument, sanglotant de souffrance et de passion.

— Ah ! je ne peux pas, je ne peux pas… Garde-moi donc, empêche-moi de retourner là-bas !  

Il l’avait saisie, il l’embrassait à l’étouffer.

— Bien vrai ? tu m’aimes ! Oh ! cher amour !… Mais je n’ai rien, moi, et tu perdrais tout. Est-ce que je puis tolérer que tu te dépouilles ainsi ?  

Elle sanglota plus fort, ses paroles bégayées se brisaient dans ses larmes.

— Son argent, n’est-ce pas ? ce qu’elle me laisserait… Tu crois donc que je calcule ? Jamais je n’y ai songé, je te le jure. Ah ! qu’elle garde tout et que je sois libre !… Moi, je ne tiens à rien ni à personne, je n’ai aucun parent, ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux ? Je ne demande point que tu m’épouses, je demande seulement à vivre avec toi… 

Puis, dans un dernier sanglot de torture :

— Ah ! tu as raison, c’est mal de l’abandonner, cette pauvre femme ! Ah ! je me méprise, je voudrais avoir la force… Mais je t’aime trop, je souffre trop, je ne peux pourtant pas en mourir.

— Reste ! reste ! cria-t-il. Et que ce soient les autres qui meurent, il n’y a que nous deux !  

Il l’avait assise sur ses genoux, tous deux pleuraient et riaient, en jurant au milieu de leurs baisers qu’ils ne se sépareraient jamais, jamais plus.

Ce fut une folie. Christine quitta brutalement madame Vanzade, emporta sa malle, dès le lendemain. Tout de suite, Claude et elle avaient évoqué la vieille maison déserte de Bennecourt, les rosiers géants, les pièces immenses. Ah ! partir, partir sans perdre une heure, vivre au bout de la terre, dans la dou-