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L’ŒUVRE.

Les jours passaient cependant, et ils ne souffraient point de la solitude. Aucun besoin d’une distraction, d’une visite à faire ou à recevoir, ne les avait encore sortis d’eux-mêmes. Les heures qu’elle ne vivait pas près de lui, à son cou, elle les employait en ménagère bruyante, bouleversant la maison par de grands nettoyages que Mélie devait exécuter sous ses yeux, ayant des fringales d’activité qui la faisaient se battre en personne contre les trois casseroles de la cuisine. Mais le jardin surtout l’occupait : elle abattait des moissons de roses sur les rosiers géants, armée d’un sécateur, les mains déchirées par les épines ; elle s’était donné une courbature à vouloir cueillir les abricots, dont elle avait vendu la récolte deux cents francs aux Anglais qui battent le pays chaque année ; et elle en tirait une vanité extraordinaire, elle rêvait de vivre des produits du jardin. Lui, mordait moins à la culture. Il avait mis son divan dans la vaste salle transformée en atelier, il s’y allongeait pour la regarder semer et planter, par la fenêtre grande ouverte. C’était une paix absolue, la certitude qu’il ne viendrait personne, que pas un coup de sonnette ne le dérangerait, à aucun moment de la journée. Il poussait si loin cette peur du dehors, qu’il évitait de passer devant l’auberge des Faucheur, dans la continuelle crainte de tomber sur une bande de camarades, débarqués de Paris. De tout l’été, pas une âme ne se montra. Il répétait chaque soir, en montant se coucher, que tout de même c’était une rude chance.

Une seule plaie secrète saignait au fond de cette joie. Après la fuite de Paris, Sandoz ayant su l’adresse et ayant écrit, demandant s’il pouvait aller le voir, Claude n’avait pas répondu. Une brouille s’en était