Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/225

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
225
L’ŒUVRE.

occupé, il file trouver Mathilde, parce qu’il croit voler sur ma part… Idiot, va !

— Ça dure donc toujours, les amours avec elle ?

— Oui, une habitude ! Elle ou une autre ! Et puis, c’est elle qui revient… Ah ! grand Dieu ! elle m’en donne encore de trop.

Du reste, il parlait de Mathilde sans colère, en disant simplement qu’elle devait être malade. Depuis la mort du petit Jabouille, elle était retombée à la dévotion, ce qui ne l’empêchait pas de scandaliser le quartier. Malgré les quelques dames pieuses qui continuaient à acheter chez elle des objets délicats et intimes, pour éviter à leur pudeur le premier embarras de les demander autre part, l’herboristerie périclitait, la faillite semblait imminente. Un soir, la Compagnie du Gaz lui ayant fermé son compteur, pour défaut de paiement, elle était venue emprunter chez ses voisins de l’huile d’olive, qui d’ailleurs avait refusé de brûler dans les lampes. Elle ne payait plus personne, elle en arrivait à s’éviter les frais d’un ouvrier, en confiant à Chaîne la réparation des injecteurs et des seringues que les dévotes lui rapportaient, soigneusement dissimulés dans des journaux. On prétendait même, chez le marchand de vin d’en face, qu’elle revendait à des couvents des canules qui avaient servi. Enfin, c’était un désastre, la boutique mystérieuse, avec ses ombres fuyantes de soutanes, ses chuchotements discrets de confessionnal, son encens refroidi de sacristie, tout ce qu’on y remuait de petits soins dont on ne pouvait parler à voix haute, glissait à un abandon de ruine. Et la misère en était à ce point, que les herbes séchées du plafond grouillaient d’araignées, et que des sangsues, crevées, déjà vertes, surnageaient dans les bocaux.