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LES ROUGON-MACQUART.

où tu es de tes œuvres immortelles, éperdu de ton effort impuissant à créer davantage !

Sa voix forte s’était enflée avec un éclat final de tonnerre ; et sa grande face rouge exprimait une angoisse. Il marcha, il continua, emporté comme malgré lui par un souffle de violence :

— Je vous l’ai dit vingt fois qu’on débutait toujours, que la joie n’était pas d’être arrivé là-haut, mais de monter, d’en être encore aux gaietés de l’escalade. Seulement, vous ne comprenez pas, vous ne pouvez pas comprendre, il faut y passer soi-même… Songez donc ! on espère tout, on rêve tout. C’est l’heure des illusions sans bornes : on a de si bonnes jambes, que les plus durs chemins paraissent courts ; on est dévoré d’un tel appétit de gloire, que les premiers petits succès emplissent la bouche d’un goût délicieux. Quel festin, quand on va pouvoir rassasier son ambition ! et l’on y est presque, et l’on s’écorche avec bonheur ! Puis, c’est fait, la cime est conquise, il s’agit de la garder. Alors, l’abomination commence, on a épuisé l’ivresse, on la trouve courte, amère au fond, ne valant pas la lutte qu’elle a coûté. Plus d’inconnu à connaître, de sensations à sentir. L’orgueil a eu sa ration de renommée, on sait qu’on a donné ses grandes œuvres, on s’étonne qu’elles n’aient pas apporté des jouissances plus vives. Dès ce moment, l’horizon se vide, aucun espoir nouveau ne vous appelle là-bas, il ne reste qu’à mourir. Et pourtant on se cramponne, on ne veut pas être fini, on s’entête à la création comme les vieillards à l’amour, péniblement, honteusement… Ah ! l’on devrait avoir le courage et la fierté de s’étrangler, devant son dernier chef-d’œuvre !

Il s’était grandi, ébranlant le haut plafond de l’ate-