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LES ROUGON-MACQUART.

une fille ayant passé, Jory se lança derrière ses jupes, après avoir prétexté des épreuves qui l’attendaient au journal. Et, comme Gagnière arrêtait machinalement Claude devant le café Baudequin, dont le gaz flambait encore, Mahoudeau refusa d’entrer, s’en alla seul, roulant des idées tristes, là-bas, jusqu’à la rue du Cherche-Midi.

Claude se trouva, sans l’avoir voulu, assis à leur ancienne table, en face de Gagnière silencieux. Le café n’avait pas changé, on s’y réunissait toujours le dimanche, une ferveur s’était déclarée même, depuis que Sandoz habitait le quartier ; mais la bande s’y noyait dans un flot de nouveaux venus, on était peu à peu submergé par la banalité montante des élèves du plein air. À cette heure, du reste, le café se vidait ; trois jeunes peintres, que Claude ne connaissait pas, vinrent, en se retirant, lui serrer la main ; et il n’y eut plus qu’un petit rentier du voisinage, endormi devant une soucoupe.

Gagnière, très à l’aise, comme chez lui, indifférent aux bâillements de l’unique garçon qui s’étirait dans la salle, regardait Claude sans le voir, les yeux vagues.

— À propos, demanda ce dernier, qu’expliquais-tu donc à Mahoudeau, ce soir ? Oui, le rouge du drapeau qui tourne au jaune, dans le bleu du ciel… Hein ? tu pioches la théorie des couleurs complémentaires.

Mais l’autre ne répondit pas. Il prit sa chope, la reposa sans avoir bu, finit par murmurer, avec un sourire d’extase :

— Haydn, c’est la grâce rhétoricienne, une petite musique chevrotante de vieille aïeule poudrée… Mozart, c’est le génie précurseur, le premier qui ait donné à l’orchestre une voix individuelle… Et ils existent surtout, ces deux-là, parce qu’ils ont fait