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L’ŒUVRE.

séculaire, plongeant dans la clarté, en plein ciel.

— Viens-tu, mon ami ? répéta Christine doucement.

Claude ne l’écoutait toujours pas, ce cœur de Paris l’avait pris tout entier. La belle soirée élargissait l’horizon. C’étaient des lumières vives, des ombres franches, une gaieté dans la précision des détails, une transparence de l’air vibrante d’allégresse. Et la vie de la rivière, l’activité des quais, cette humanité dont le flot débouchait des rues, roulait sur les ponts, venait de tous les bords de l’immense cuve, fumait là en une onde visible, en un frisson qui tremblait dans le soleil. Un vent léger soufflait, un vol de petits nuages roses traversait très haut l’azur pâlissant, tandis qu’on entendait une palpitation énorme et lente, cette âme de Paris épandue autour de son berceau.

Alors, Christine s’empara du bras de Claude, inquiète de le voir si absorbé, saisie d’une sorte de peur religieuse ; et elle l’entraîna, comme si elle l’avait senti en grand péril.

— Rentrons, tu te fais du mal… Je veux rentrer. 

Lui, à son contact, avait eu le tressaillement d’un homme qu’on réveille. Puis, tournant la tête, dans un dernier regard :

— Ah ! mon Dieu ! murmura-t-il, ah ! mon Dieu ! que c’est beau !  

Il se laissa emmener. Mais, toute la soirée, à table, près du poêle ensuite, et jusqu’en se couchant, il resta étourdi, si préoccupé, qu’il ne prononça pas quatre phrases, et que sa femme, ne pouvant tirer de lui une réponse, finit également par se taire. Elle le regardait, anxieuse : était-ce donc l’envahissement d’une maladie grave, quelque mauvais air qu’il au-