Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/289

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
289
L’ŒUVRE.

— Je te dis que ça y est ! s’écria-t-il. Ce tableau-là, vois-tu, c’est le succès. 

Elle se taisait, elle songeait à la rencontre qu’elle avait faite et qu’elle voulait lui cacher ; mais, invinciblement, cela sortit de ses lèvres, sans cause apparente, sans transition, dans la sorte de torpeur qui l’avait envahie.

— Madame Vanzade est morte. 

Lui, s’étonna. Ah ! vraiment ! Comment le savait-elle ?

— J’ai rencontré l’ancien valet de chambre… Oh ! un monsieur à cette heure, très gaillard, malgré ses soixante-dix ans. Je ne le reconnaissais pas, c’est lui qui m’a parlé… Oui, elle est morte, il y a six semaines. Ses millions ont passé aux hospices, sauf une rente que les deux vieux serviteurs mangent aujourd’hui en petits bourgeois. 

Il la regardait, il murmura enfin d’une voix triste :

— Ma pauvre Christine, tu as des regrets, n’est-ce pas ? Elle t’aurait dotée, elle t’aurait mariée, je te le disais bien jadis. Tu serais peut-être son héritière, et tu ne crèverais pas la faim avec un toqué comme moi. 

Mais elle parut alors s’éveiller. Elle rapprocha violemment sa chaise, elle le saisit d’un bras, s’abandonna contre lui, dans une protestation de tout son être.

— Qu’est-ce que tu dis ? Oh ! non, oh ! non… Ce serait une honte, si j’avais songé à son argent. Je te l’avouerais, tu sais que je ne suis pas menteuse ; mais j’ignore moi-même ce que j’ai eu, un bouleversement, une tristesse, ah ! vois-tu, une tristesse à croire que tout allait finir pour moi… C’est le remords sans doute, oui, le remords de l’avoir quittée brutale-