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LES ROUGON-MACQUART.

— Claude, hé ! Claude !… Vous ne reconnaissez donc pas vos amies ?

C’était Irma Bécot, délicieusement vêtue d’une toilette de soie grise, recouverte de chantilly. Elle avait abaissé la glace d’une main vive, elle souriait, elle rayonnait dans l’encadrement de la portière.

— Où allez-vous ?

Lui, béant, répondit qu’il n’allait nulle part. Elle s’égaya plus haut, en le regardant de ses yeux de vice, avec le retroussis de lèvres pervers d’une dame que tourmente l’envie subite d’une crudité, aperçue chez une fruitière borgne.

— Montez alors, il y a si longtemps qu’on ne s’est vus !… Montez donc, vous allez être renversé !

En effet, les cochers s’impatientaient, poussaient leurs chevaux, au milieu d’un vacarme ; et il monta, étourdi ; et elle l’emporta, ruisselant, avec son hérissement farouche de pauvre, dans le petit coupé de satin bleu, assis à moitié sur les dentelles de sa jupe ; tandis que les fiacres rigolaient de l’enlèvement, en prenant la queue, pour rétablir la circulation.

Irma Bécot avait enfin réalisé son rêve d’un hôtel à elle, sur l’avenue de Villiers. Mais elle y avait mis des années, le terrain d’abord acheté par un amant, puis les cinq cent mille francs de la bâtisse, les trois cent mille francs de meubles, fournis par d’autres, au petit bonheur des coups de passion. C’était une demeure princière, d’un luxe magnifique, surtout d’un extrême raffinement dans le bien-être voluptueux, une grande alcôve de femme sensuelle, un grand lit d’amour qui commençait aux tapis du vestibule, pour monter et s’étendre jusqu’aux murs capitonnés des chambres. Aujourd’hui, après avoir beaucoup coûté, l’auberge rapportait davantage, car