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LES ROUGON-MACQUART.

— Ce n’est point ta faute, mais c’est évidemment ça qui me fiche dedans… Ah ! pas de chance !

Elle écoutait, elle chancelait, dans son chagrin. Ces heures de pose, dont elle avait déjà tant souffert, tournaient maintenant à un supplice intolérable. Quelle était donc cette nouvelle invention, de l’accabler, avec sa jeunesse, de souffler sur sa jalousie, en lui donnant le regret empoisonné de sa beauté disparue ? Voilà qu’elle devenait sa propre rivale, qu’elle ne pouvait plus regarder son ancienne image, sans être mordue au cœur d’une envie mauvaise ! Ah ! que cette image, cette étude faite d’après elle, avait pesé sur son existence ! Tout son malheur était là : sa gorge montrée d’abord dans son sommeil ; puis, son corps vierge dévêtu librement, en une minute de tendresse charitable ; puis, ce don d’elle-même, après les rires de la foule, huant sa nudité ; puis, sa vie entière, son abaissement à ce métier de modèle, où elle avait perdu jusqu’à l’amour de son mari. Et elle renaissait, cette image, elle ressuscitait, plus vivante qu’elle, pour achever de la tuer ; car il n’y avait désormais qu’une œuvre, c’était la femme couchée de l’ancienne toile qui se relevait à présent, dans la femme debout du nouveau tableau.

Alors, à chaque séance, Christine se sentit vieillir. Elle abaissait sur elle des regards troubles, elle croyait voir se creuser des rides, se déformer les lignes pures. Jamais elle ne s’était étudiée ainsi, elle avait la honte et le dégoût de son corps, ce désespoir infini des femmes ardentes, lorsque l’amour les quitte avec leur beauté. Était-ce donc pour cela qu’il ne l’aimait plus, qu’il allait passer les nuits chez d’autres, et qu’il se réfugiait dans la passion hors nature de son œuvre ? Elle en perdait l’intelligence nette des