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L’ŒUVRE.

en une houle accrue sans cesse ; et, dans la colère de ses vaines recherches, il s’étonnait de la vulgarité des visages, vus de la sorte en masse, du disparate des toilettes, peu d’élégantes pour beaucoup de communes, du manque de majesté de ce monde, à tel point, que la peur dont il avait tremblé se changeait en mépris. Était-ce donc ces gens qui allaient encore huer son tableau, si on le retrouvait ? Deux petits reporters blonds complétaient une liste des personnes à citer. Un critique affectait de prendre des notes sur les marges de son catalogue ; un autre professait, au centre d’un groupe de débutants ; un autre, les mains derrière le dos, solitaire, demeurait planté, accablait chaque œuvre d’une impassibilité auguste. Et ce qui le frappait surtout, c’était cette bousculade de troupeau, cette curiosité en bande sans jeunesse ni passion, l’aigreur des voix, la fatigue des visages, un air de souffrance mauvaise. Déjà, l’envie était à l’œuvre : le monsieur qui fait de l’esprit avec les dames ; celui qui, sans un mot, regarde, hausse terriblement les épaules, puis s’en va ; les deux qui restent un quart d’heure, coude à coude, appuyés à la planchette de la cimaise, le nez sur une petite toile, chuchotant très bas, avec des regards torves de conspirateurs.

Mais Fagerolles venait de paraître ; et, au milieu du flux continuel des groupes, il n’y avait plus que lui, la main tendue, se montrant partout à la fois, se prodiguant dans son double rôle de jeune maître et de membre influent du jury. Accablé d’éloges, de remerciements, de réclamations, il avait une réponse pour chacun, sans rien perdre de sa bonne grâce. Depuis le matin, il supportait l’assaut des petits peintres de sa clientèle qui se trouvaient mal