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LES ROUGON-MACQUART.

sion du moment, le jeune maître selon le goût du jour, ayant eu la chance de rater le prix de Rome et de rompre avec l’École, dont il gardait les procédés : fortune d’une saison que le vent apporte et remporte, caprice nerveux de la grande détraquée de ville, succès de l’à peu près, de l’audace gris perle, de l’accident qui bouleverse la foule le matin, pour se perdre le soir dans l’indifférence de tous.

Mais Naudet remarqua l’Enterrement au village.

— Tiens ! c’est votre tableau ?… Et, alors, vous avez voulu donner un pendant à la Noce ? Moi, je vous en aurais détourné… Ah ! la Noce ! la Noce !

Bongrand l’écoutait toujours, sans cesser de sourire ; et, seul, un pli douloureux coupait ses lèvres tremblantes. Il oubliait ses chefs-d’œuvre, l’immortalité assurée à son nom, il ne voyait plus que la vogue immédiate, sans effort, venant à ce galopin indigne de nettoyer sa palette, le poussant à l’oubli, lui qui avait lutté dix années avant d’être connu. Ces générations nouvelles, quand elles vous enterrent, si elles savaient quelles larmes de sang elles vous font pleurer dans la mort !

Puis, comme il se taisait, la peur le prit d’avoir laissé deviner son mal. Est-ce qu’il tomberait à cette bassesse de l’envie ? Une colère contre lui-même le redressa, on devait mourir debout. Et, au lieu de la réponse violente qui lui montait aux lèvres, il dit familièrement :

— Vous avez raison, Naudet, j’aurais mieux fait d’aller me coucher, le jour où j’ai eu l’idée de cette toile.

— Ah ! c’est lui, pardon !  cria le marchand, qui s’échappa.

C’était Fagerolles, qui se montrait à l’entrée de la