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L’ŒUVRE.

quand son mari, feuilletant le catalogue, eut trouvé le titre : l’Enfant mort, elle l’entraîna, frissonnante, avec ce cri d’effroi :

— Oh ! l’horreur ! est-ce que la police devrait permettre une horreur pareille !

Alors, Claude demeura là, debout, inconscient et hanté, les yeux cloués en l’air, au milieu du troupeau continu de la foule qui galopait, indifférente, sans un regard à cette chose unique et sacrée, visible pour lui seul ; et ce fut là, dans ces coudoiements, que Sandoz finit par le reconnaître.

Flânant en garçon, lui aussi, sa femme étant restée près de sa mère souffrante, Sandoz venait de s’arrêter, le cœur fendu, en bas de la petite toile, rencontrée par hasard. Ah ! quel dégoût de cette misérable vie ! Il revécut brusquement leur jeunesse, le collège de Plassans, les longues escapades au bord de la Viorne, les courses libres sous le brûlant soleil, toute cette flambée de leurs ambitions naissantes ; et, plus tard, dans leur existence commune, il se rappelait leurs efforts, leurs certitudes de gloire, la belle fringale, d’appétit démesuré, qui parlait d’avaler Paris d’un coup. À cette époque, que de fois il avait vu en Claude le grand homme, celui dont le génie débridé devait laisser en arrière, très loin, le talent des autres ! C’était d’abord l’atelier de l’impasse des Bourdonnais, plus tard l’atelier du quai de Bourbon, des toiles immenses rêvées, des projets à faire éclater le Louvre ; c’était une lutte incessante, un travail de dix heures par jour, un don entier de son être. Et puis, quoi ? après vingt années de cette passion, aboutir à ça, à cette pauvre chose sinistre, toute petite, inaperçue, d’une navrante mélancolie dans son isolement de pestiférée ! Tant d’espoirs,