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L’ŒUVRE.

puis, il s’était haussé à la direction d’une grande revue d’art ; et l’on assurait qu’il y touchait trente mille francs par an, sans compter tout un obscur trafic dans les ventes de collections. La rapacité bourgeoise qu’il tenait de son père, cette hérédité du gain qui l’avait jeté secrètement à des spéculations infimes, dès les premiers sous gagnés, s’étalait aujourd’hui, finissait par faire de lui un terrible monsieur saignant à blanc les artistes et les amateurs qui lui tombaient sous la main.

Et c’était au milieu de cette fortune que Mathilde, toute-puissante, venait de l’amener à la supplier en pleurant d’être sa femme, ce qu’elle avait fièrement refusé pendant six mois.

— Lorsqu’on doit vivre ensemble, continuait-il, le mieux est encore de régler la situation. Hein ? toi qui as passé par là, mon cher, tu en sais quelque chose… Si je te disais qu’elle ne voulait pas, oui ! par crainte d’être mal jugée et de me faire du tort. Oh ! une âme d’une grandeur, d’une délicatesse !… Non, vois-tu, on n’a pas idée des qualités de cette femme-là. Dévouée, toujours aux petits soins, économe, et fine, et de bon conseil… Ah ! c’est une rude chance que je l’aie rencontrée ! Je n’entreprends plus rien sans elle, je la laisse aller, elle mène tout, ma parole !

La vérité était que Mathilde avait achevé de le réduire à une obéissance peureuse de petit garçon, que la seule menace d’être privé de confiture rend sage. Une épouse autoritaire, affamée de respect, dévorée d’ambition et de lucre, s’était dégagée de l’ancienne goule impudique. Elle ne le trompait même pas, d’une vertu aigre de femme honnête, en dehors des pratiques d’autrefois, qu’elle avait gardées avec lui