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L’ŒUVRE.

tants, cette agitation tombait, il demeurait silencieux, les yeux larges et perdus, fixés là-bas, au loin dans le vide, sur quelque chose qui semblait l’appeler.

— Ah ! mon vieux, dit-il à Sandoz, j’ai achevé ton bouquin cette nuit. C’est rudement fort, tu leur as cloué le bec, cette fois.

Tous deux causèrent devant la cheminée, où des bûches flambaient. L’écrivain, en effet, venait de publier un nouveau roman ; et, bien que la critique ne désarmât pas, il se faisait enfin, autour de ce dernier, cette rumeur du succès qui consacre un homme, sous les attaques persistantes de ses adversaires. D’ailleurs, il n’avait aucune illusion, il savait bien que la bataille, même gagnée, recommencerait à chacun de ses livres. Le grand travail de sa vie avançait, cette série de romans, ces volumes qu’il lançait coup sur coup, d’une main obstinée et régulière, marchant au but qu’il s’était donné, sans se laisser vaincre par rien, obstacles, injures, fatigues.

— C’est vrai, répondit-il gaiement, ils faiblissent cette fois ? Il y en a même un qui a fait la fâcheuse concession de reconnaître que je suis un honnête homme. Voilà comment tout dégénère !… Mais, va ! ils se rattraperont. J’en sais dont le crâne est trop différent du mien, pour qu’ils acceptent jamais ma formule littéraire, mes audaces de langue, mes bonshommes physiologiques, évoluant sous l’influence des milieux ; et je parle des confrères qui se respectent, je laisse de côté les imbéciles et les gredins… Le mieux, vois-tu, pour travailler gaillardement, c’est de n’attendre ni bonne foi ni justice. Il faut mourir pour avoir raison.

Les yeux de Claude s’étaient brusquement dirigés