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L’ŒUVRE.

Deux fois, elle dut répéter la phrase. Il ne l’entendait pas, il finit par tressaillir et par se lever, en disant, comme s’il avait répondu à l’appel lointain, là-bas, à l’horizon :

— Oui, j’y vais, j’y vais.

Lorsque Sandoz et sa femme se retrouvèrent seuls enfin, dans le salon où l’air s’étouffait, chauffé par les lampes, comme alourdi d’un silence mélancolique après l’éclat mauvais des querelles, tous les deux se regardèrent, et ils laissèrent tomber leurs bras, dans le navrement de leur malheureuse soirée. Elle, pourtant, tâcha d’en rire, murmurant :

— Je t’avais prévenu, j’avais bien compris…

Mais il l’interrompit encore d’un geste désespéré. Eh quoi ! était-ce donc la fin de sa longue illusion, de ce rêve d’éternité, qui lui avait fait mettre le bonheur dans quelques amitiés choisies dès l’enfance, puis goûtées jusqu’à l’extrême vieillesse. Ah ! la bande lamentable, quelle cassure dernière, quel bilan à pleurer, après cette banqueroute du cœur ! Et il s’étonnait des amis qu’il avait semés le long de la route, des grandes affections perdues en chemin, du perpétuel changement des autres, autour de son être qu’il ne voyait pas changer. Ses pauvres jeudis l’emplissaient de pitié, tant de souvenirs en deuil, cette mort lente de ce qu’on aime ! Est-ce qu’ils allaient se résigner sa femme et lui, à vivre au désert, cloîtrés dans la haine du monde ? Est-ce qu’ils ouvriraient la porte toute large, devant le flot des inconnus et des indifférents ? Peu à peu, une certitude se faisait au fond de son chagrin : tout finissait et rien ne recommençait, dans la vie. Il sembla se rendre à l’évidence, il dit avec un gros soupir :