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LES ROUGON-MACQUART.

nous prendra assez tôt, va ! tâchons d’avoir un peu chaud, de vivre, de nous aimer. Rappelle-toi, à Bennecourt !… Écoute mon rêve. Moi, je voudrais t’emporter demain. Nous irions loin de ce Paris maudit, nous trouverions quelque part un coin de tranquillité, et tu verrais comme je te rendrais l’existence douce, comme ce serait bon, d’oublier tout aux bras l’un de l’autre… Le matin, on dort dans son grand lit ; puis, ce sont des flâneries au soleil, le déjeuner qui sent bon, l’après-midi paresseuse, la soirée passée sous la lampe. Et plus de tourments pour des chimères, et rien que la joie de vivre !… Cela ne te suffit donc pas que je t’aime, que je t’adore, que je consente à être ta servante, à exister uniquement pour ton plaisir… Entends-tu, je t’aime, je t’aime, et il n’y a rien de plus, c’est assez, je t’aime !

Il avait dégagé ses mains, il dit d’une voix morne, avec un geste de refus :

— Non, ce n’est point assez… Je ne veux pas m’en aller avec toi, je ne veux pas être heureux, je veux peindre.

— Et que j’en meure, n’est-ce pas ? et que tu en meures, que nous achevions tous les deux d’y laisser notre sang et nos larmes !… Il n’y a que l’art, c’est le Tout-puissant, le Dieu farouche qui nous foudroie et que tu honores. Il peut nous anéantir, il est le maître, tu diras merci.

— Oui, je lui appartiens, qu’il fasse de moi ce qu’il voudra… Je mourrais de ne plus peindre, je préfère peindre et en mourir… Et puis, ma volonté n’y est pour rien. C’est ainsi, rien n’existe en dehors, que le monde crève !

Elle se redressa, dans une nouvelle poussée de colère. Sa voix redevenait dure et emportée.