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L’ŒUVRE.

— Mais je suis vivante, moi ! et elles sont mortes, les femmes que tu aimes… Oh ! ne dis pas non, je sais bien que ce sont tes maîtresses, toutes ces femmes peintes. Avant d’être la tienne, je m’en étais aperçue déjà, il n’y avait qu’à voir de quelle main tu caressais leur nudité, de quels yeux tu les contemplais ensuite, pendant des heures. Hein ? était-ce malsain et stupide, un pareil désir chez un garçon ? brûler pour des images, serrer dans ses bras le vide d’une illusion ! et tu en avais conscience, tu t’en cachais comme d’une chose inavouable… Puis, tu as paru m’aimer un instant. C’est à cette époque que tu m’as raconté ces bêtises, tes amours avec tes bonnes femmes, comme tu disais en te plaisantant toi-même. Souviens-toi ? tu prenais en pitié ces ombres, lorsque tu me tenais entre tes bras… Et ça n’a pas duré, tu es retourné à elles, oh ! si vite ! comme un maniaque retourne à sa manie. Moi qui existais, je n’étais plus, et c’étaient elles, les visions, qui redevenaient les seules réalités de ton existence… Ce que j’ai enduré alors, tu ne l’as jamais su, car tu nous ignores toutes, j’ai vécu près de toi, sans que tu me comprennes. Oui, j’étais jalouse d’elles. Quand je posais, là, toute nue, une idée seule m’en donnait le courage : je voulais lutter, j’espérais te reprendre ; et rien, pas même un baiser sur mon épaule, avant de me laisser rhabiller ! Mon Dieu ! que j’ai été honteuse souvent ! quel chagrin j’ai dû dévorer, de me sentir dédaignée et trahie !… Depuis ce moment, ton mépris n’a fait que grandir, et tu vois où nous en sommes, à nous allonger côte à côte toutes les nuits, sans nous toucher du doigt. Il y a huit mois et sept jours, je les ai comptés ! il y a huit mois et sept jours que nous n’avons rien eu ensemble.