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LES ROUGON-MACQUART.

Elle continua hardiment, elle parla en phrases libres, elle, la sensuelle pudique, si ardente à l’amour, les lèvres gonflées de cris, et si discrète ensuite, si muette sur ces choses, ne voulant pas en causer, détournant la tête avec des sourires confus. Mais le désir l’exaltait, c’était un outrage que cette abstinence. Et sa jalousie ne se trompait pas, accusait la peinture encore, car cette virilité qu’il lui refusait, il la réservait et la donnait à la rivale préférée. Elle savait bien pourquoi il la délaissait ainsi. Souvent d’abord, quand il avait le lendemain un gros travail, et qu’elle se serrait contre lui en se couchant, il lui disait que non, que ça le fatiguerait trop ; ensuite, il avait prétendu qu’au sortir de ses bras, il en avait pour trois jours à se remettre, le cerveau ébranlé, incapable de rien faire de bon ; et la rupture s’était ainsi peu à peu produite, une semaine en attendant l’achèvement d’un tableau, puis un mois pour ne pas déranger la mise en train d’un autre, puis des dates reculées encore, des occasions négligées, la déshabitude lente, l’oubli final. Au fond, elle retrouvait la théorie répétée cent fois devant elle : le génie devait être chaste, il fallait ne coucher qu’avec son œuvre.

— Tu me repousses, acheva-t-elle violemment, tu te recules de moi, la nuit, comme si je te répugnais, tu vas ailleurs, et pour aimer quoi ? un rien, une apparence, un peu de poussière, de la couleur sur de la toile !… Mais, encore un coup, regarde-la donc, ta femme, là-haut ! vois donc quel monstre tu viens d’en faire, dans ta folie ! Est-ce qu’on est bâtie comme ça ? est-ce qu’on a des cuisses en or et des fleurs sous le ventre ?… Réveille-toi, ouvre les yeux, rentre dans l’existence.