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L’ŒUVRE.

— Va, tu peux comparer, je suis plus jeune qu’elle… Tu as eu beau lui mettre des bijoux dans la peau, elle est fanée comme une feuille sèche… Moi, j’ai toujours dix-huit ans, parce que je t’aime.

Et, en effet, elle rayonnait de jeunesse sous la clarté pâle. Dans ce grand élan d’amour, les jambes s’effilaient, charmantes et fines, les hanches élargissaient leur rondeur soyeuse, la gorge ferme se redressait, gonflée du sang de son désir.

Déjà, elle l’avait repris, collée à lui maintenant, sans cette chemise gênante ; et ses mains s’égaraient, le fouillaient partout, aux flancs, aux épaules, comme si elle eût cherché son cœur, dans cette caresse tâtonnante, cette prise de possession, où elle semblait vouloir le faire sien ; tandis qu’elle le baisait rudement, d’une bouche inassouvie, sur la peau, sur la barbe, sur les manches, dans le vide. Sa voix expirait, elle ne parlait plus que d’un souffle haletant, coupé de soupirs.

— Oh ! reviens, oh ! aimons-nous… Tu n’as donc pas de sang, que des ombres te suffisent ? Reviens, et tu verras que c’est bon de vivre… Tu entends ! vivre au cou l’un de l’autre, passer des nuits comme ça, serrés, confondus, et recommencer le lendemain, et encore, et encore…

Il frémissait, il lui rendait peu à peu son étreinte, dans la peur que lui avait faite l’autre, l’idole ; et elle redoublait de séduction, elle l’amollissait et le conquérait.

— Écoute, je sais que tu as une affreuse pensée, oui ! je n’ai jamais osé t’en parler, parce qu’il ne faut pas attirer le malheur ; mais je ne dors plus la nuit, tu m’épouvantes… Ce soir, je t’ai suivi, là-bas, sur ce pont que je hais, et j’ai tremblé, oh ! j’ai cru que