Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/130

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fatigue pas… Moi, tu sais, j’ai déjà des rhumatismes. 

Et, s’installant à l’aise dans un fauteuil, prenant un journal :

— Ne t’occupe pas de moi, finis de recevoir, si je ne te gêne pas… Je suis venu trop tôt, parce que j’avais à passer chez mon médecin et que je ne l’ai pas trouvé. 

À ce moment, le valet de chambre entrait dire que madame la comtesse de Beauvilliers demandait à être reçue. Saccard, un peu surpris, bien qu’il eût déjà rencontré à l’Œuvre du Travail sa noble voisine, comme il la nommait, donna l’ordre de l’introduire immédiatement ; puis, rappelant le valet, il lui commanda de renvoyer tout le monde, fatigué, ayant très faim.

Lorsque la comtesse entra, elle n’aperçut même pas Maxime, que le dossier du grand fauteuil cachait. Et Saccard s’étonna davantage, en voyant qu’elle avait amené avec elle sa fille Alice. Cela donnait plus de solennité à la démarche : ces deux femmes si tristes et si pâles, la mère mince, grande, toute blanche, à l’air suranné, la fille vieillie déjà, le cou trop long, jusqu’à la disgrâce. Il avança des sièges, d’une politesse agitée, pour mieux montrer sa déférence.

— Madame, je suis extrêmement honoré… Si j’avais le bonheur de pouvoir vous être utile… 

D’une grande timidité, sous son allure hautaine, la comtesse finit par expliquer le motif de sa visite.

— Monsieur, c’est à la suite d’une conversation avec mon amie, madame la princesse d’Orviedo, que la pensée m’est venue de me présenter chez vous… Je vous avoue que j’ai hésité d’abord, car on ne refait pas facilement ses idées à mon âge et j’ai toujours eu grand-peur des choses d’aujourd’hui que je ne comprends pas… Enfin, j’en ai causé avec ma fille, je crois qu’il est de mon devoir de passer sur mes scrupules pour tenter d’assurer le bonheur des miens. 

Et elle continua, elle dit comment la princesse lui avait parlé de la Banque Universelle, certes une maison de crédit telle que les autres, aux yeux des profanes, mais qui,