Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/243

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

calma la première fièvre de sa décision. Et c’était dans la pleine possession d’elle-même qu’elle donnait un dernier coup d’œil autour de la pièce, avant de la quitter, lorsque le valet de chambre reparut et lui remit un paquet de journaux et de lettres.

D’un coup d’œil machinal, madame Caroline regarda les suscriptions et, dans le tas, reconnut une lettre de son frère, qui lui était adressée. Elle arrivait de Damas, où Hamelin se trouvait alors, pour l’embranchement projeté, de cette ville à Beyrout. D’abord, elle commença à la parcourir, debout, près de la lampe, se promettant de la lire lentement, plus tard, dans le train. Mais chaque phrase la retenait, elle ne pouvait plus sauter un mot, elle finit par se rasseoir devant la table et par se donner tout entière à la lecture passionnante de cette longue lettre, qui avait douze pages.

Hamelin, justement, était dans un de ses jours de gaieté. Il remerciait sa sœur des dernières bonnes nouvelles qu’elle lui avait adressées de Paris, et il lui envoyait des nouvelles meilleures encore de là-bas, car tout y marchait à souhait. Le premier bilan de la Compagnie générale des Paquebots réunis s’annonçait superbe, les nouveaux transports à vapeur réalisaient de grosses recettes, grâce à leur installation parfaite et à leur vitesse plus grande. En plaisantant, il disait qu’on y voyageait pour le plaisir, et il montrait les ports de la côte envahis par le monde de l’Occident, il racontait qu’il ne pouvait faire une course à travers les sentiers perdus, sans se trouver nez à nez avec quelque Parisien du boulevard. C’était réellement, comme il l’avait prévu, l’Orient ouvert à la France. Bientôt, des villes repousseraient aux flancs fertiles du Liban. Mais, surtout, il faisait une peinture très vive de la gorge écartée du Carmel, où la mine d’argent était en pleine exploitation. Le site sauvage s’humanisait, on avait découvert des sources dans l’écroulement gigantesque de rochers qui bouchait le vallon au nord ; et des champs se créaient, le blé remplaçait les lentisques, tandis que tout un village déjà s’était bâti