Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/325

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de vendre nos dernières mille actions au cours de deux mille sept cents. 

Il resta anéanti, comme devant la plus noire des trahisons.

— Vous avez vendu, vous ! vous, mon Dieu ! 

Elle lui avait pris les mains, elle les lui serrait, vraiment peinée, lui rappelant qu’elle et son frère l’avaient averti. Ce dernier, qui était toujours à Rome, écrivait des lettres pleines d’une mortelle inquiétude sur cette hausse exagérée, qu’il ne s’expliquait pas, qu’il fallait enrayer à tout prix, sous peine d’une culbute en plein gouffre. La veille encore, elle en avait reçu une lui donnant l’ordre formel de vendre. Et elle avait vendu.

— Vous, vous ! répétait Saccard. C’était vous qui me combattiez, que je sentais dans l’ombre ! Ce sont vos actions que j’ai dû racheter ! 

Il ne s’emportait pas, selon son habitude, et elle souffrait davantage de son accablement, elle aurait voulu le raisonner, lui faire abandonner cette lutte sans merci qu’un massacre seul pouvait terminer.

— Mon ami, écoutez-moi… Songez que nos trois mille titres ont produit plus de sept millions et demi. N’est-ce point un gain inespéré, extravagant ? Moi, tout cet argent m’épouvante, je ne puis croire qu’il m’appartienne… Mais ce n’est d’ailleurs pas de notre intérêt personnel qu’il s’agit. Songez aux intérêts de tous ceux qui ont remis leur fortune entre vos mains, un effrayant total de millions que vous risquez dans la partie. Pourquoi soutenir cette hausse insensée, pourquoi l’exciter encore ? On me dit de tous les côtés que la catastrophe est au bout, fatalement… Vous ne pourrez monter toujours, il n’y a aucune honte à ce que les titres reprennent leur valeur réelle, et c’est la maison solide, c’est le salut. 

Mais, violemment, il s’était remis debout.

— Je veux le cours de trois mille… J’ai acheté et j’achèterai encore, quitte à en crever… Oui ! que je crève, que tout crève avec moi, si je ne fais pas et si je ne maintiens pas le cours de trois mille !