Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/341

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que Mazaud exécutait, car beaucoup de joueurs de province, pour limiter leur perte, avant d’oser se lancer dans le ferme, achetaient et vendaient à prime. Puis, brusquement, une rumeur courut, des voix saccadées s’élevèrent : l’Universelle venait de baisser de cinq francs ; et, coup sur coup, elle baissa de dix francs, de quinze francs, elle tomba à 3.025.

Justement, à ce moment-là, Jantrou, qui avait reparu, après une courte absence, disait à l’oreille de Saccard que la baronne Sandorff était là, rue Brongniart, dans son coupé et qu’elle lui faisait demander s’il fallait vendre. Cette question, tombant au moment où les cours fléchissaient, l’exaspéra. Il revoyait le cocher immobile, haut perché sur le siège, la baronne consultant son carnet, comme chez elle, glaces closes. Et il répondit :

— Qu’elle me fiche la paix ! et si elle vend, je l’étrangle !

Massias accourait, à l’annonce des quinze francs de baisse, ainsi qu’à un appel d’alarme, sentant bien qu’il allait être nécessaire. En effet, Saccard, qui avait préparé un coup pour enlever le dernier cours, une dépêche qu’on devait envoyer de la Bourse de Lyon, où la hausse était certaine, commençait à s’inquiéter, en ne voyant pas arriver la dépêche ; et cette dégringolade de quinze francs, imprévue, pouvait amener un désastre.

Habilement, Massias ne s’arrêta pas devant lui, le heurta du coude, puis reçut son ordre, l’oreille tendue.

— Vite, à Nathansohn, quatre cents, cinq cents, ce qu’il faudra. 

Cela s’était fait si rapidement, que Pillerault et Moser seuls s’en aperçurent. Ils se lancèrent sur les pas de Massias, pour savoir. Massias, depuis qu’il était à la solde de l’Universelle, avait pris une importance énorme. On tâchait de le confesser, de lire par-dessus son épaule les ordres qu’il recevait. Et lui-même, maintenant, réalisait des gains superbes. Avec sa bonhomie souriante de malchanceux, que la fortune avait rudement traité jusque-là, il s’étonnait, il déclarait supportable cette vie de chien de