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XI


Madame Caroline, épouvantée, envoya le soir même une dépêche à son frère, qui était à Rome pour une semaine encore ; et, trois jours après, Hamelin débarquait à Paris, accourant au danger.

L’explication fut rude, entre Saccard et l’ingénieur, rue Saint-Lazare, dans cette salle des épures, où l’affaire, autrefois, avait été discutée et résolue avec tant d’enthousiasme. Pendant les trois jours, la débâcle à la Bourse venait de s’aggraver terriblement, les actions de l’Universelle étaient tombées, coup sur coup, au-dessous du pair, à 430 francs ; et la baisse continuait, l’édifice craquait et s’écroulait, d’heure en heure.

Silencieuse, madame Caroline écouta, évitant d’intervenir. Elle était pleine de remords, car elle s’accusait de complicité, puisque c’était elle qui, après s’être promis de veiller, avait laissé tout faire. Au lieu de se contenter de vendre ses titres, simplement, afin d’entraver la hausse, n’aurait-elle pas dû trouver autre chose, prévenir les gens, agir enfin ? Dans son adoration pour son frère, son cœur saignait, à le voir ainsi compromis, au milieu de ses grands travaux ébranlés, de toute l’œuvre de sa vie remise en question ; et elle souffrait d’autant plus, qu’elle ne se sentait pas libre de juger Saccard : ne l’avait-elle pas aimé, n’était-elle pas à lui, de ce lien secret, dont elle sentait davantage la honte ? C’était, placée ainsi entre ces deux hommes, tout un combat qui la déchirait. Le soir de la catastrophe, elle avait accablé Saccard, dans un bel emportement de franchise,