Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/399

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de pitié, attirée, ayant le besoin de voir et d’apporter ses larmes, elle aussi. Elle entra, trouva toutes les portes grandes ouvertes, arriva jusqu’au salon.

Deux servantes, la cuisinière et la femme de chambre sans doute, y allongeaient le cou, avec des faces de terreur, balbutiantes.

— Oh ! monsieur, oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! 

Le jour mourant de la grise journée d’hiver entrait faiblement, par l’écartement des épais rideaux de soie. Mais il faisait très chaud, de grosses bûches achevaient de se consumer en braise dans la cheminée, éclairant les murs d’un grand reflet rouge. Sur une table, une gerbe de roses, un royal bouquet pour la saison, que, la veille encore, l’agent de change avait apporté à sa femme, s’épanouissait dans cette tiédeur de serre, embaumait toute la pièce. C’était comme le parfum même du luxe raffiné de l’ameublement, la bonne odeur de chance, de richesse, de félicité d’amour, qui, pendant quatre années, avaient fleuri là. Et, sous le reflet rouge du feu, Mazaud était renversé au bord du canapé, la tête fracassée d’une balle, la main crispée sur la crosse du revolver ; tandis que, debout devant lui, sa jeune femme, accourue, poussait cette plainte, ce cri continu et sauvage qui s’entendait de l’escalier. Au moment de la détonation, elle avait au bras son petit garçon de quatre ans et demi, dont les petites mains s’étaient cramponnées à son cou, dans l’épouvante ; et sa fillette, âgée de six ans déjà, l’avait suivie, pendue à sa jupe, se serrant contre elle ; et les deux enfants criaient aussi, d’entendre crier leur mère éperdument.

Tout de suite, madame Caroline voulut les emmener.

— Madame, je vous en supplie… Madame, ne restez pas là…

Elle-même tremblait, se sentait défaillir. De la tête trouée de Mazaud, elle voyait le sang couler encore, tomber goutte à goutte sur le velours du canapé, d’où il ruisselait sur le tapis. Il y avait par terre une large tache qui