Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/426

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qu’il préparait depuis des mois, il entamait l’histoire du procès et l’exposé de ses moyens de défense, comme s’il eut éprouvé le besoin de s’innocenter auprès d’elle. L’accusation lui reprochait : le capital sans cesse augmenté pour enfiévrer les cours et pour faire croire que la société possédait l’intégralité de ses fonds ; la simulation de souscriptions et de versements non effectués, grâce aux comptes ouverts à Sabatani et aux autres hommes de paille, lesquels payaient seulement par des jeux d’écritures ; la distribution de dividendes fictifs, sous forme de libération des anciens titres ; enfin, l’achat par la société de ses propres actions, toute une spéculation effrénée qui avait produit la hausse extraordinaire et factice, dont l’Universelle était morte, épuisée d’or. À cela, il répondait par des explications abondantes, passionnées : il avait fait ce que fait tout directeur de banque, seulement il l’avait fait en grand, avec une carrure d’homme fort. Pas un des chefs des plus solides maisons de Paris qui n’aurait dû partager sa cellule, si l’on s’était piqué d’un peu de logique. On le prenait pour le bouc émissaire des illégalités de tous. D’autre part, quelle étrange façon d’apprécier les responsabilités ! Pourquoi ne poursuivait-on pas aussi les administrateurs, les Daigremont, les Huret, les Bohain, qui, outre leurs cinquante mille francs de jetons de présence, touchaient le dix pour cent sur les bénéfices, et qui avaient trempé dans tous les tripotages ? Pourquoi encore l’impunité complète dont jouissaient les commissaires-censeurs, Lavignière entre autres, qui en étaient quittes pour alléguer leur incapacité et leur bonne foi ? Évidemment, ce procès allait être la plus monstrueuse des iniquités, car on avait dû écarter la plainte en escroquerie de Busch, comme alléguant des faits non prouvés, et le rapport remis par l’expert, après un premier examen des livres, venait d’être reconnu plein d’erreurs. Alors, pourquoi la faillite, déclarée d’office à la suite de ces deux pièces, lorsque pas un sou des dépôts n’avait été détourné et que tous les clients devaient rentrer dans leurs fonds ? Était-ce donc qu’on voulait uniquement ruiner