Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/122

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Mais déjà son étrange peur d’une complicité inconsciente le rejetait dans son système évasif.

— Non, pourtant, je ne pense pas, jamais je n’oserais affirmer. Songez donc ! une vitesse de quatre-vingts kilomètres à l’heure !

D’un geste de découragement, le juge allait le faire passer dans la pièce voisine, pour le garder à sa disposition, lorsqu’il se ravisa.

— Restez, asseyez-vous.

Et, sonnant de nouveau l’huissier :

— Introduisez monsieur et madame Roubaud.

Dès la porte, en apercevant Jacques, leurs yeux se ternirent d’un vacillement d’inquiétude. Avait-il parlé ? le gardait-on pour le confronter avec eux ? Toute leur assurance s’en allait, de le sentir là ; et ce fut la voix un peu sourde qu’ils répondirent d’abord. Mais le juge avait simplement repris leur premier interrogatoire, ils n’eurent qu’à répéter les mêmes phrases, presque identiques, pendant qu’il les écoutait, la tête basse, sans même les regarder.

Puis, tout d’un coup, il se tourna vers Séverine.

— Madame, vous avez dit au commissaire de surveillance, dont j’ai là le procès-verbal, que, pour vous, un homme était monté à Rouen, dans le coupé, comme le train se mettait en marche.

Elle resta saisie. Pourquoi rappelait-il cela ? était-ce un piège ? allait-il, en rapprochant ses déclarations, la faire se démentir elle-même ? Aussi, d’un coup d’œil, consulta-t-elle son mari, qui intervint prudemment.

— Je ne crois pas, monsieur, que ma femme se soit montrée si affirmative.

— Pardon… Comme vous émettiez la possibilité du fait, madame a dit : « C’est certainement ce qui est arrivé »… Eh bien ! madame, je désire savoir si vous aviez des motifs particuliers pour parler ainsi.