Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/188

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— Faut manger… Il pleut trop, pour aller se coller sur sa paillasse.

La cantine, en effet, se trouvait là, contre le Dépôt même ; tandis que la Compagnie avait dû louer une maison, rue François-Mazeline, où étaient installés des lits pour les mécaniciens et les chauffeurs qui passaient la nuit au Havre. Par un tel déluge, on aurait eu le temps d’être trempé jusqu’aux os.

Jacques dut se décider à suivre Pecqueux, qui avait pris le petit panier de son chef, comme pour lui éviter le soin de le porter. Il savait que ce panier contenait encore deux tranches de veau froid, du pain, une bouteille entamée à peine ; et c’était ce qui lui donnait faim, simplement. La pluie redoublait, un coup de tonnerre encore venait d’ébranler le hangar. Quand les deux hommes s’en allèrent, à gauche, par la petite porte qui conduisait à la cantine, la Lison se refroidissait déjà. Elle s’endormit, abandonnée, dans les ténèbres que les violents éclairs illuminaient, sous les grosses gouttes qui trempaient ses reins. Près d’elle, une prise d’eau, mal fermée, ruisselait et entretenait une mare, coulant entre ses roues, dans la fosse.

Mais, avant d’entrer à la cantine, Jacques voulut se débarbouiller. Il y avait toujours là, dans une pièce, de l’eau chaude, avec des baquets. Il tira un savon de son panier, il se décrassa les mains et la face, noires du voyage ; et, comme il avait la précaution, recommandée aux mécaniciens, d’emporter un vêtement de rechange, il put se changer des pieds à la tête, ainsi qu’il le faisait du reste, par coquetterie, chaque soir de rendez-vous, en arrivant au Havre. Déjà, Pecqueux attendait dans la cantine, ne s’étant lavé que le bout du nez et le bout des doigts.

Cette cantine consistait simplement en une petite salle nue, peinte en jaune, où il n’y avait qu’un fourneau pour faire chauffer les aliments, et qu’une table, scellée au