Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/189

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sol, recouverte d’une feuille de zinc, en guise de nappe. Deux bancs complétaient le mobilier. Les hommes devaient apporter leur nourriture, et mangeaient sur du papier, avec la pointe de leur couteau. Une large fenêtre éclairait la pièce.

— En voilà une sale pluie ! cria Jacques en se plantant à la fenêtre.

Pecqueux s’était assis sur un banc, devant la table.

— Vous ne mangez pas, alors ?

— Non, mon vieux, finissez mon pain et ma viande, si le cœur vous en dit… Je n’ai pas faim.

L’autre, sans se faire prier, se jeta sur le veau, acheva la bouteille. Souvent, il avait de pareilles aubaines, car son chef était petit mangeur ; et il l’aimait davantage, dans son dévouement de chien, pour toutes les miettes qu’il ramassait ainsi derrière lui. La bouche pleine, il reprit après un silence :

— La pluie, qu’est-ce que ça fiche, puisque nous voilà garés ? C’est vrai que, si ça continue, moi, je vous lâche, je vas à côté.

Il se mit à rire, car il ne se cachait pas, il avait dû lui confier sa liaison avec Philomène Sauvagnat, pour qu’il ne s’étonnât point de le voir découcher si souvent, les nuits où il allait la retrouver. Comme elle occupait, chez son frère, une pièce du rez-de-chaussée, près de la cuisine, il n’avait qu’à taper au volet : elle ouvrait, il entrait d’une enjambée, simplement. C’était par là, disait-on, que toutes les équipes de la gare avaient sauté. Mais, maintenant, elle s’en tenait au chauffeur, qui suffisait, semblait-il.

— Nom de Dieu de nom de Dieu ! jura sourdement Jacques, en voyant le déluge reprendre avec plus de violence, après une accalmie.

Pecqueux, qui tenait au bout de son couteau la dernière bouchée de viande, eut de nouveau un rire bon enfant.