Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/197

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étouffait. C’était un grand frisson qui lui partait des reins, qui soulevait sa gorge d’amoureuse, dans le flot confus de soupirs montant à ses lèvres. La voix expirante, au milieu d’un spasme, n’allait-elle point parler ? Mais, vite, d’un baiser, il fermait sa bouche, y scellait l’aveu, saisi d’une inquiétude. Pourquoi mettre cet inconnu entre eux ? pouvait-on affirmer que cela ne changerait rien à leur bonheur ? Il flairait un danger, un frémissement le reprenait, à l’idée de remuer avec elle ces histoires de sang. Et elle le devinait sans doute, elle redevenait, contre lui, caressante et docile, en créature d’amour, uniquement faite pour aimer et être aimée. Une folie de possession alors les emportait, ils demeuraient parfois évanouis aux bras l’un de l’autre.

Roubaud, depuis l’été, s’était encore épaissi, et à mesure que sa femme retournait à la gaieté, à la fraîcheur de ses vingt ans, lui vieillissait, semblait plus sombre. En quatre mois, comme elle le disait, il avait beaucoup changé. Il donnait toujours de cordiales poignées de main à Jacques, l’invitait, n’était heureux que lorsqu’il l’avait à sa table. Seulement, cette distraction ne lui suffisait plus, il sortait souvent, dès la dernière bouchée, laissait parfois le camarade avec sa femme, sous le prétexte qu’il étouffait et qu’il avait besoin d’aller prendre l’air. La vérité était que, maintenant, il fréquentait un petit café du cours Napoléon, où il retrouvait M. Cauche, le commissaire de surveillance. Il buvait peu, des petits verres de rhum ; mais un goût du jeu lui était venu, qui tournait à la passion. Il ne se ranimait, n’oubliait tout que les cartes à la main, enfoncé dans des parties de piquet interminables. M. Cauche, un effréné joueur, avait décidé qu’on intéresserait les parties ; on en était venu à jouer cent sous ; et, dès lors, Roubaud, étonné de ne pas se connaître, avait brûlé de la rage du gain, cette fièvre chaude de l’argent gagné, qui ravage un homme jusqu’à lui faire risquer sa