Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/205

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pée d’un grand manteau, il la conduisit lui-même à un compartiment de première classe, où il l’installa. Sans doute avait-il surpris le regard de tendresse inquiète, échangé entre les deux amants ; mais il ne se soucia seulement pas de dire à sa femme qu’il était imprudent de partir par un temps pareil, et qu’elle ferait mieux de remettre son voyage.

Des voyageurs arrivèrent, emmitouflés, chargés de valises, toute une bousculade dans le froid terrible du matin. La neige des chaussures ne se fondait même pas ; et les portières se refermaient aussitôt, chacun se barricadait, le quai restait désert, mal éclairé par les lueurs louches de quelques becs de gaz ; tandis que le fanal de la machine, accroché à la base de la cheminée, flambait seul, comme un œil géant, élargissant au loin, dans l’obscurité, sa nappe d’incendie.

Mais Roubaud éleva sa lanterne, donnant le signal. Le conducteur-chef siffla, et Jacques répondit, après avoir ouvert le régulateur et mis en avant le petit volant du changement de marche. On partait. Pendant une minute encore, le sous-chef suivit tranquillement du regard le train qui s’éloignait sous la tempête.

— Et attention ! dit Jacques à Pecqueux. Pas de farce, aujourd’hui !

Il avait bien remarqué que son compagnon semblait, lui aussi, tomber de lassitude : le résultat, sûrement, de quelque noce de la veille.

— Oh ! pas de danger, pas de danger ! bégaya le chauffeur.

Tout de suite, dès la sortie de la halle couverte, les deux hommes étaient entrés dans la neige. Le vent soufflait de l’est, la machine avait ainsi vent debout, fouettée de face par les rafales ; et, derrière l’abri, ils n’en souffrirent pas trop d’abord, vêtus de grosses laines, les yeux protégés par des lunettes. Mais, dans la nuit, la lumière éclatante