Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/357

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— Eh bien ! écoute, c’est vrai… Nous pouvons nous dire tout, nous autres. Il y a assez de choses qui nous lient… Depuis des mois, il me poursuivait, cet homme. Il savait que j’étais à toi, il pensait que ça ne me coûterait pas davantage d’être à lui. Et, quand je l’ai retrouvé en bas, il m’a parlé encore, il m’a répété qu’il m’aimait à en mourir, l’air si pénétré de reconnaissance pour les soins que je lui donnais, avec une telle douceur de tendresse, que, c’est vrai, j’ai fait un moment le rêve de l’aimer aussi, de recommencer autre chose, quelque chose de meilleur, de très doux… Oui, quelque chose sans plaisir peut-être, mais qui m’aurait calmée…

Elle s’interrompit, hésita avant de continuer.

— Car, devant nous deux, maintenant, c’est barré, nous n’irons pas plus loin… Notre rêve de départ, cet espoir d’être riches et heureux, là-bas, en Amérique, toute cette félicité qui dépendait de toi, elle est impossible, puisque tu n’as pas pu… Oh ! je ne te reproche rien, il vaut même mieux que la chose ne se soit pas faite, mais je veux te faire comprendre qu’avec toi je n’ai plus rien à attendre : demain sera comme hier, les mêmes ennuis, les mêmes tourments.

Il la laissait parler, il ne la questionna qu’en la voyant se taire.

— Et c’est pour ça que tu as couché avec l’autre ?

Elle avait fait quelques pas dans la chambre, elle revint, haussa les épaules.

— Non, je n’ai pas couché avec lui, et je te le dis simplement, et tu me crois, j’en suis sûre, parce que désormais nous n’avons pas à nous mentir… Non, je n’ai pas pu, pas davantage que tu n’as pu toi-même, pour l’autre affaire. Hein ? ça t’étonne qu’une femme ne puisse se donner à un homme, quand elle raisonne le cas, en trouvant qu’elle y aurait intérêt. Moi-même, je n’en pensais pas si long, ça ne m’avait jamais coûté d’être gentille, je