Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/382

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Moi aussi, je suis témoin… Ah ! monsieur Jacques, lorsqu’on m’a interrogée à propos de vous, car vous savez qu’on a voulu connaître la vraie vérité sur vos rapports avec cette pauvre dame ; oui, lorsqu’on m’a interrogée, j’ai dit au juge : « Mais, monsieur, il l’adorait, c’est impossible qu’il lui ait fait du mal ! » N’est-ce pas ? je vous avais vus ensemble, moi, j’étais bien placée pour en parler.

— Oh ! dit le jeune homme, avec un geste d’indifférence, je n’étais pas inquiet, je pouvais donner, heure par heure, l’emploi de mon temps… Si la Compagnie m’a gardé, c’est qu’il n’y avait pas le plus petit reproche à me faire.

Un silence régna, tous trois burent lentement.

— Ça fait frémir, reprit Philomène. Cette bête féroce, ce Cabuche qu’on a arrêté, encore tout couvert du sang de la pauvre dame ! Faut-il qu’il y ait des hommes idiots ! tuer une femme parce qu’on a envie d’elle, comme si ça les avançait à quelque chose, quand la femme n’est plus là !… Et ce que je n’oublierai jamais de la vie, voyez-vous, c’est lorsque monsieur Cauche, là-bas, sur le quai, est venu arrêter aussi monsieur Roubaud. J’y étais. Vous savez que ça s’est passé huit jours après seulement, lorsque monsieur Roubaud, au lendemain de l’enterrement de sa femme, avait repris son service d’un air tranquille. Alors donc, monsieur Cauche lui a tapé sur l’épaule, en disant qu’il avait l’ordre de l’emmener en prison. Vous pensez ! eux qui ne se quittaient point, qui jouaient ensemble, les nuits entières ! Mais, quand on est commissaire, n’est-ce pas ? on mènerait son père et sa mère à la guillotine, puisque c’est le métier qui veut ça. Il s’en fiche bien, monsieur Cauche ! je l’ai encore aperçu au café du Commerce, tantôt, qui battait les cartes sans plus s’inquiéter de son ami que du grand Turc !

Pecqueux, les dents serrées, allongea un coup de poing sur la table.

— Tonnerre de Dieu ! si j’étais à la place de ce cocu de