Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


III


Le lendemain, un dimanche, cinq heures du matin venaient de sonner à tous les clochers du Havre, lorsque Roubaud descendit sous la marquise de la gare, pour prendre son service. Il faisait encore nuit noire ; mais le vent, qui soufflait de la mer, avait grandi et poussait les brumes, noyant les coteaux dont les hauteurs s’étendent de Sainte-Adresse au fort de Tourneville ; tandis que, vers l’ouest, au-dessus du large, une éclaircie se montrait, un pan de ciel, où brillaient les dernières étoiles. Sous la marquise, les becs de gaz brûlaient toujours, pâlis par le froid humide de l’heure matinale ; et il y avait là le premier train de Montivilliers, que formaient des hommes d’équipe, aux ordres du sous-chef de nuit. Les portes des salles n’étaient pas ouvertes, les quais s’étendaient déserts, dans ce réveil engourdi de la gare.

Comme il sortait de chez lui, en haut, au-dessus des salles d’attente, Roubaud avait trouvé la femme du caissier, madame Lebleu, immobile au milieu du couloir central, sur lequel donnaient les logements des employés. Depuis des semaines, cette dame se relevait la nuit, pour guetter mademoiselle Guichon, la buraliste, qu’elle soupçonnait d’une intrigue avec le chef de gare, M. Dabadie. D’ailleurs, elle n’avait jamais surpris la moindre chose, pas une ombre, pas un souffle. Et, ce matin-là encore, elle était vite rentrée chez elle, ne rapportant que l’étonne-