Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/94

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— C’est drôle tout de même.

En se sentant dévisagé, Roubaud la regarda, avec un hochement du menton, comme pour dire qu’il trouvait ça drôle, lui aussi. Près d’elle, il aperçut Pecqueux et madame Lebleu, qui hochaient également la tête. Les yeux de tous s’étaient tournés de son côté, on attendait autre chose, on cherchait sur sa personne un détail oublié, qui éclaircirait l’affaire. Il n’y avait aucune accusation, dans ces regards ardemment curieux ; et il croyait pourtant voir poindre le soupçon vague, ce doute que le plus petit fait parfois change en certitude.

— Extraordinaire, murmura M. Cauche.

— Tout à fait extraordinaire, répéta M. Dabadie.

Alors, Roubaud se décida.

— Ce dont je suis encore bien sûr, c’est que l’express qui va, d’un trait, de Rouen à Barentin, a marché à sa vitesse réglementaire, sans que j’aie remarqué rien d’anormal… Je le dis, parce que, justement, nous trouvant seuls, j’avais baissé la glace, pour fumer une cigarette ; et je jetais des coups d’œil au-dehors, je me rendais parfaitement compte de tous les bruits du train… Même, à Barentin, ayant reconnu sur le quai monsieur Bessière, le chef de gare, mon successeur, je l’ai appelé, et nous avons échangé trois paroles, tandis que, monté sur le marchepied, il me serrait la main… N’est ce pas ? ma chère, on peut l’interroger, monsieur Bessière le dira.

Séverine, toujours immobile et pâle, son fin visage noyé de chagrin, confirma une fois de plus la déclaration de son mari.

— Il le dira, oui.

Dès ce moment, toute accusation devenait impossible, si les Roubaud, remontés à Rouen, dans leur compartiment, y avaient été salués, à Barentin, par un ami. L’ombre de soupçon que le sous-chef croyait avoir vue passer dans les yeux s’en était allée ; et l’étonnement de chacun grandis-