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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

sonne. Mon mari se ferait plutôt couper une main que de solliciter la moindre chose. Nous nous sommes mis à l’écart, par dégoût de toutes les injustices que nous avons vues. Nous vivons modestement, ici, bien heureux qu’on nous oublie… Tenez, on offrirait de l’avancement à mon mari qu’il refuserait, maintenant. N’est-ce pas, mon ami ?

Le juge branla la tête d’un air d’assentiment. Tous deux échangeaient un mince sourire, et Marthe resta embarrassée, en face de ces deux affreux visages, couturés, livides de bile, qui s’entendaient si bien dans cette comédie d’une résignation menteuse. Elle se rappela heureusement les conseils de sa mère.

— J’avais cependant compté sur vous, dit-elle en se faisant très aimable. Nous aurons toutes ces dames, madame Delangre, madame Rastoil, madame de Condamin ; mais, entre nous, ces dames ne donneront guère que leurs noms. J’aurais voulu trouver une personne très-respectable, très-dévouée, qui prit la chose plus à cœur, et j’avais pensé que vous voudriez bien être cette personne… Songez quelle reconnaissance Plassans nous devra, si nous menons à bien un tel projet !

— Certainement, certainement, murmura madame Paloque, ravie de ces bonnes paroles.

— Puis, vous avez tort de vous croire sans aucun pouvoir. On sait que monsieur Paloque est très-bien vu à la sous-préfecture. Entre nous, on lui réserve la succession de monsieur Rastoil. Ne vous défendez pas ; vos mérites sont connus, vous avez beau vous cacher. Et, tenez, voilà une excellente occasion pour madame Paloque de sortir un peu de l’ombre où elle se tient, de faire voir quelle femme de tête et de cœur il y a en elle.

Le juge s’agitait beaucoup. Il regardait sa femme de ses yeux clignotants.

— Madame Paloque n’a pas refusé, dit-il.