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LES ROUGON-MACQUART.

la calmait un peu. Elle prenait de l’eau bénite, se signait machinalement, pour faire comme tout le monde. Cependant, les bedeaux finissaient par la connaître et la saluaient ; elle-même se familiarisait avec les différentes chapelles, la sacristie, où elle allait parfois chercher l’abbé Faujas, les grands corridors, les petites cours du cloître, qu’on lui faisait traverser. Au bout d’un mois, Saint-Saturnin n’avait plus un coin qu’elle ignorât. Parfois, il lui fallait attendre l’architecte ; elle s’asseyait, dans une chapelle écartée, se reposant de sa course trop rapide, repassant au fond de sa mémoire les mille recommandations qu’elle se promettait de faire à M. Lieutaud ; puis, ce grand silence frissonnant qui l’enveloppait, cette ombre religieuse des vitraux, la jetaient dans une sorte de rêverie vague et très-douce. Elle commençait à aimer les hautes voûtes, la nudité solennelle des murs, des autels garnis de leurs housses, des chaises rangées régulièrement à la file. C’était, dès que la double porte rembourrée retombait mollement derrière elle, comme une sensation de repos suprême, d’oubli des tracasseries du monde, d’anéantissement de tout son être dans la paix de la terre.

— C’est à Saint-Saturnin qu’il fait bon ! laissa-t-elle échapper un soir devant son mari, après une chaude journée d’orage.

— Veux-tu que nous allions y coucher ? dit Mouret en riant.

Marthe fut blessée. Cette pensée du bien-être purement physique qu’elle éprouvait dans l’église la choqua comme une chose inconvenante. Elle n’alla plus à Saint-Saturnin qu’avec un léger trouble, s’efforçant de rester indifférente, d’entrer là, de même qu’elle entrait dans les grandes salles de la mairie, et malgré elle remuée jusqu’aux entrailles par un frisson. Elle en souffrait, elle revenait volontiers à cette souffrance.