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LES ROUGON-MACQUART.

voix haute qu’il était devenu triste tout d’un coup ; mais lui, se défendit, essaya de sourire encore. Il quitta le salon de bonne heure.

L’abbé Faujas resta un des derniers. Rougon était venu le complimenter, causant gravement, assis tous deux aux deux coins d’un canapé. Ils parlaient de la nécessité des sentiments religieux dans un État sagement administré ; tandis que chaque dame qui se retirait avait devant eux une longue révérence.

— Monsieur l’abbé, dit gracieusement Félicité, vous savez que vous êtes le cavalier de ma fille.

Il se leva. Marthe l’attendait, près de la porte. La nuit était très noire. Dans la rue, ils furent comme aveuglés par l’obscurité. Ils traversèrent la place de la Sous-Préfecture, sans prononcer une parole ; mais, rue Balande, devant la maison, Marthe lui toucha le bras, au moment où il allait mettre la clef dans la serrure.

— Je suis bien heureuse du bonheur qui vous arrive, lui dit-elle d’une voix très-émue… Soyez bon, aujourd’hui, faites-moi la grâce que vous m’avez refusée jusqu’à présent. Je vous assure, l’abbé Bourrette ne m’entend pas. Vous seul pouvez me diriger et me sauver.

Il l’écarta d’un geste. Puis, quand il eut ouvert la porte et allumé la petite lampe que Rose laissait au bas de l’escalier, il monta, en lui disant doucement :

— Vous m’avez promis d’être raisonnable… Je songerai à ce que vous demandez. Nous en causerons.

Elle lui aurait baisé les mains. Elle n’entra chez elle que lorsqu’elle l’eut entendu refermer sa porte, à l’étage supérieur. Et, pendant qu’elle se déshabillait et qu’elle se couchait, elle n’écouta pas Mouret, à moitié endormi, qui lui racontait longuement les cancans qui couraient la ville. Il était allé à son cercle, le cercle du Commerce, où il mettait rarement les pieds.