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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

madame Rougon ne réussissait pas mieux à lire les chagrins secrets qu’elle croyait deviner sous sa bonhomie ; elle le dévisageait en souriant finement, lui tendait des pièges ; mais ce bavard incorrigible, par la langue duquel toute la ville passait, était maintenant pris d’une pudeur, lorsqu’il s’agissait des choses de son ménage.

— Ton mari a donc fini par être raisonnable ? demanda un jour Félicité à sa fille. Il te laisse libre.

Marthe la regarda d’un air de surprise.

— J’ai toujours été libre, dit-elle.

— Chère enfant, tu ne veux pas l’accuser… Tu m’avais dit qu’il voyait l’abbé Faujas d’un mauvais œil.

— Mais non, je vous assure. C’est vous, au contraire, qui vous étiez imaginé cela… Mon mari est au mieux avec monsieur l’abbé Faujas. Ils n’ont aucune raison pour être mal ensemble.

Marthe s’étonnait de la persistance que tout le monde mettait à vouloir que son mari et l’abbé ne fussent pas bons amis. Souvent, au comité de l’œuvre de la Vierge, ces dames lui posaient des questions qui l’impatientaient. La vérité était qu’elle se trouvait très-heureuse, très-calme ; jamais la maison de la rue Balande ne lui avait paru plus tiède. L’abbé Faujas lui ayant laissé entendre qu’il se chargerait de sa conscience, lorsqu’il jugerait que l’abbé Bourrette deviendrait insuffisant, elle vivait dans cette espérance, avec des joies naïves de première communiante à laquelle on a promis des images de sainteté, si elle est sage. Elle croyait, par instants, redevenir enfant ; elle avait des fraîcheurs de sensation, des puérilités de désir, qui l’attendrissaient. Au printemps, Mouret, qui taillait ses grands buis, la surprit, les yeux baignés de larmes, sous la tonnelle du fond, au milieu des jeunes pousses, dans l’air chaud.

— Qu’as-tu donc, ma bonne ? lui demanda-t-il avec inquiétude.