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LES ROUGON-MACQUART.

tiente ; puis, ne pouvant rester en place, elle partit, riant aux éclats. Le chariot sautait, se vidait. Quand elle eut fait le tour du jardin, elle revint, criant :

— Remplis-le, remplis-le encore !

Mouret le remplit de nouveau, à petites pelletées. Marthe était restée sur la terrasse, regardant, émue, mal à l’aise ; ces portes ouvertes, cet homme jouant avec cette enfant, au fond de la maison vide, l’attristaient, sans qu’elle eût une conscience nette de ce qui se passait en elle. Elle monta se déshabiller, entendant Rose, qui était rentrée également, dire du haut du perron :

— Mon Dieu ! que monsieur est bête !

Selon l’expression de ses amis du cours Sauvaire, des petits rentiers avec lesquels il faisait tous les jours son tour de promenade, Mouret « était touché. » Ses cheveux avaient grisonné en quelques mois, il fléchissait sur les jambes, il n’était plus le terrible moqueur que toute la ville redoutait. On crut un instant qu’il s’était lancé dans des spéculations hasardeuses et qu’il pliait sous quelque grosse perte d’argent.

Madame Paloque, accoudée à la fenêtre de sa salle à manger, qui donnait sur la rue Balande, disait même « qu’il filait un vilain coton, » chaque fois qu’elle le voyait sortir. Et si l’abbé Faujas traversait la rue, quelques minutes plus tard, elle prenait plaisir à s’écrier, surtout lorsqu’elle avait du monde chez elle :

— Voyez donc monsieur le curé ; en voilà un qui engraisse !… S’il mangeait dans la même assiette que M. Mouret, on croirait qu’il ne lui laisse que les os. »

Elle riait, et l’on riait avec elle. L’abbé Faujas, en effet, devenait superbe, toujours ganté de noir, la soutane luisante. Il avait un sourire particulier, un plissement ironique des lèvres, lorsque madame de Condamin le complimentait sur sa bonne mine. Ces dames l’aimaient bien mis,